vendredi 7 février 2014

Landolfo et Giovanni Colonna


Citant comme notre source un passage de l’article consacré par Léopold Delisle à un « Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne d'Arc »[1], nous avons naguère indiqué que « le dominicain Jean de Colonne, auteur de la compilation intitulée Mare Historiarum » était « vraisemblablement originaire de Chartres », où « son oncle Landolfe, historien lui aussi », était membre du chapitre cathédral[2] : il s’agit moins là d’une erreur que d’une faute, qu’il convient de réparer sans chercher à la dissimuler.


En effet, notre propos de l’époque témoigne de la lecture trop hâtive d’un passage de l’article concerné[3] : nous aurions dû nous apercevoir que Delisle avait utilisé la forme traditionnelle, francisée, du patronyme porté par ces deux personnages, qui sont en fait des Colonna, bien connus non seulement pour leur appartenance à la grande famille romaine de ce nom, mais surtout pour leurs relations amicales avec Pétrarque. Ainsi, pas plus que dans le cas de son neveu Giovanni, la prébende chartraine de Landolfo Colonna n’implique  que ce dernier avait originellement des attaches sur place, même si d’autres membres de cette famille avaient compté au nombre des membres du chapitre local. En revanche, il est établi que Landolfo a résidé durablement à Chartres[4] et tout aussi assuré que Giovanni, outre cette dernière ville, a séjourné à Troyes puis à Amiens[5].


Ce qui caractérise nos deux personnages, c’est leur intérêt passionné à l’égard des « sources » (manuscrits anciens des œuvres de l’Antiquité), démarche que l’on a pu qualifier sans exagération de pré-humaniste et dans laquelle ils ont précédé leur compatriote et ami Pétrarque, en particulier pour ce qui concerne l’œuvre de Tite Live : à Chartres, Landolfo Colonna, en examinant les manuscrits conservés dans la riche bibliothèque capitulaire, a pu ainsi exhumer celui, aujourd’hui perdu, qui contenait les IIIe et IVe Décades, dont il fit faire une copie (actuel ms Paris, BnF, lat. 5690)[6]. S’agissant de Troyes et d’Amiens, c’est peut-être également le sens qu’il convient de donner à l’activité de Giovanni telle qu’elle est décrite par son oncle, car les bibliothèques des différentes églises locales recelaient elles aussi bien des trésors de la littérature antique : en effet, comme l’a montré P. Stirnemann, une mention un peu énigmatique de l’inventaire des livres de Saint-Etienne de Troyes dressé en 1319[7] doit désigner là encore un manuscrit de l’oeuvre de Tite Live, que cette chercheuse attribue à la bibliothèque du comte Henri le Libéral et qu’elle identifie de manière très convaincante avec l’actuel ms Paris, BnF, lat. 5732[8].


Notre référence à  Landolfe et Jean de Colonne était donc de nature à dissimuler, involontairement bien sûr, deux personnages dont le rôle durant le premier humanisme s’avère notablement plus important que ce que le laconisme de cette mention pouvait laisser penser et qui mériteraient une étude à part entière.








[1] L. Delisle, « Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne d'Arc », Bibliothèque de l'École des chartes, t. 46 (1885), p. 649-668.

[2] A.-Y. Bourgès, « La cour ducale de Bretagne et la légende arthurienne au bas Moyen Âge. Prolégomènes à une édition critique des fragments du Livre des faits d’Arthur », G. Buron, H. Bihan et B. Merdrignac [dir.], À travers les îles celtiques. A dreuz an inizi keltiek per insulas scotticas. Mélanges en mémoire de Gwénaël Le Duc, Landévennec-Brest, 2008 (Britannia monastica, 12),  p. 118, n. 198.

[3]  L. Delisle, « Nouveau témoignage… », p. 659.

[4] C. Billot a donné le dernier état de la question dans son excellente synthèse « Landolfo Colonna, chanoine de Chartres de 1290 à 1329 et le premier humanisme : essai d'historiographie », J.R. Armogathe [dir.], Monde médiéval et société chartraine, Paris, 1997, p. 301-307.

[5] U. Balzani, « Landolfo e Giovanni Colonna secondo un codice Bodleiano », Archivio della Società Romana di  Storia patria, t. 8 (1885), p. 240 : Sed cum nunc te…Trecis nunc Ambianis… studentem [ ?] fore conspicio. Cette transcription a été complétée par G. Billanovich, La tradizione del testo di Livio e le origini dell'umanesimo, vol. 1: Tradizione e fortuna di Livio tra Medioevo e Umanesimo, Part. 1, Padoue, 1981 (Studi sul Petrarca, 9), p. 140 : Sed cum nunc te Carnoti nunc Trecis nunc Ambianis… studentem  fore conspicio.

[6] F. Callu et F. Avril, Boccace en France : de l'humanisme à l'érotisme [Catalogue de l’exposition, Paris, Bibliothèque nationale, 9 octobre 1975-4 janvier 1976], Paris, 1975, p. 44, n° 76 ; F. Avril, Y. Zaluska, M.-Th. Gousset et M. Pastoureau, Dix siècles d'enluminure italienne : VIe-XVIe siècles [Catalogue de l’exposition, Paris, Bibliothèque nationale, 8 mars-30 mai 1984], Paris, 1984, p. 50, n° 39.

[7] Ch. Lalore, Inventaires des principales églises de Troyes, t. 2, Troyes, 1893, p. 270, n° 2288.


[8] P. Stirnemann, « Reconstitution des bibliothèques en langue latine des comtes de Champagne », Le Moyen Âge à livres ouverts [Actes du colloque, Lyon 24-25 septembre 2002], Lyon, 2003, p. 37-45.

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