dimanche 31 août 2008

Plaidoyer pour le “renouvellisme” en histoire

Le lecteur voudra bien nous pardonner tout d’abord le terme “renouvellisme”. Le concept de “renouvellisme” historique, forgé par nos soins et que nous espérons pouvoir maintenir quelque temps à l’écart du détournement de sens dont il ne manquera pas d’être un jour l’objet de la part des petits Fouquier-Tinville de la pensée unique, nous paraît être la démarche à adopter par les chercheurs qui, sans renoncer à l’exercice périlleux de la critique des sources, veulent néanmoins s’efforcer de garder la reconnaissance de leurs pairs, la considération de leur public et parfois même leur emploi.

Même si le corpus documentaire à disposition venait à ne plus à être enrichi d’éléments nouveaux — c’est déjà le cas en ce qui concerne certaines périodes plus ou moins anciennes de notre passé (comme le haut Moyen Âge) — une approche renouvelée des sources existantes au travers de grilles de lecture inédites, aussi bien que des problématiques nouvelles qui empruntent aux différentes sciences humaines — sans tomber cependant dans certains excès de l’histoire sérielle, notamment la manie des comptages dont les vrais statisticiens n’ont pas manqué de souligner les graves lacunes — permettent de fonder et de nourrir cette démarche “renouvelliste” qui est à la base du métier d’historien. A défaut d'un tel “renouvellisme”, nous courrons le risque de voir (s'auto)imposer à tous une forme de vérité historique moins politique qu’institutionnelle et sociétale, qui rendra impossible le débat entre historiens et qui, par conséquent, ralentira considérablement les progrès de la recherche : c'est là le principal effet contreproductif des lois dites mémorielles et — du moins en ce qui concerne les événements les plus récents (ceux de la période de l’occupation allemande en France, par exemple) — de la redoutable confusion entre Histoire et Mémoire, qui laissent le terrain libre aux seuls négationnistes (au sens large), puisque les historiens (s’)en sont exclus. Hâtons nous cependant, car demain peut-être le “renouvellisme” lui-même aura vécu !

En nous éloignant de ces périodes récentes, nous prendrons, pour illustrer notre propos, l’exemple du supposé droit de cuissage médiéval, dont le dernier état de la question a été donné par Alain Boureau dans son livre sur Le Droit de cuissage, la fabrication d'un mythe, XIIIe-XXe siècle, paru en 1995. Lorsque Boureau s’était vu reprocher à l’époque par Geneviève Fraisse philosophe mais aussi spécialiste de l’histoire des femmes, d’avoir manqué à son « devoir d’historien », c’était bien son habituel "renouvellisme" qui avait interpellé et agacé la militante ; celle-ci cependant, soucieuse avant tout d’éclairer ce qu’elle estimait avoir été occulté par Boureau, lui reprochait certes « l’aspect tendancieux » de sa démarche, mais n’avait pas pour autant appelé à son ostracisation ou à son lynchage médiatique : le débat s’en trouva donc nourri au profit de chacun des deux chercheurs et au bénéfice de tous, membres de la communauté scientifique et grand public. En un peu plus d’une douzaine d’années, la situation a beaucoup évolué, comme le montre la récente polémique autour du livre de Sylvain Gouguenheim, car si cet auteur est lui aussi accusé de manquer à son devoir d’historien, ces critiques ne figurent plus seulement dans les recensions de son ouvrage, mais aussi dans une pétition très médiatisée, signée entre autres par Boureau. Le livre de Gouguenheim est effectivement très critiquable, notamment en ce qu’il ne reconnaît pas explicitement ce qu’il doit à l’article plus que quarantenaire de Coloman Viola, dont il a d'ailleurs repris le titre, ainsi qu’à la problématique développée sur un mode indiscutablement polémique par Jacques Heers en 2002 ; en revanche, les historiens ont-ils à répondre à l’approche de Gouguenheim par le seul anathème au nom d’une vérité historique taillée à l’aune des préoccupations idéologiques de l’historiographie actuelle ?

André-Yves Bourgès

© André-Yves Bourgès Août 2008

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